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LIBERATION | 20.08.02
Par Pierre HASKI, envoye special, Lijiang

En Chine, le grand bond en avant du rock Le premier festival rock s'est tenu ce week-end dans le sud-ouest du pays.

Le rock est encore tout juste tolere. Et Cui Jian, sa figure emblematique, reste stigmatise pour avoir chante sur la place Tiananmen lors du mouvement democratique de 1989

Autour de minuit, samedi, Cui Jian, le chef de file du rock chinois, scrute le ciel pluvieux, en direction de la montagne du Dragon de jade, et decrete sans trop y croire : "Demain, il fera un temps magnifique..." Devant lui, plusieurs milliers de participants au premier vrai festival de rock chinois pataugent depuis des heures dans la boue, emmitoufles dans des cires multicolores, les chaussures astucieusement entourees de pochettes en plastique. La saison des pluies est exceptionnellement lourde en Chine cette annee, et a pese sur l'organisation de ce festival sans precedent.

Courte histoire. Le lendemain, le voeu du chanteur a en partie ete exauce : de longues eclaircies entrecoupees d'averses ont rendu l'ambiance plus festive, tout en restant boueuse et humide. Lundi a l'aube, Cui Jian, l'ame de cette manifestation, etait epuise mais satisfait : malgre une masse de difficultes, malgre ses limites et ses ambiguites, ce "festival de la montagne enneigee", vite surnomme le "Woodstock chinois", a ete un succes qui represente une etape importante dans la courte histoire du rock de l'empire du Milieu.

Un succes, si l'on se place du point de vue de ce groupe de jeunes venus de la region, le visage et le corps barioles aux couleurs et aux motifs de l'ethnie Naxi qui vit dans ces montagnes, et se sont exploses dans la danse pendant deux jours en ignorant les intemperies. Ou de ce jeune ouvrier gagnant 1 000 yuans (environ 150 euros) par mois, qui a fait cinq heures de train et s'est paye le billet par passion pour ces groupes de rock qu'il n'avait jamais vus en live. Autre image de cette premiere chinoise : un vieux paysan aux vetements elimes et au chapeau sans forme danse superbement au rythme de la musique. Un cercle se forme autour de lui et il se retrouve, en un instant, a se dehancher en compagnie d'une top model hyperbranchee venue de Shanghai... Quelques minutes plus tard, on retrouve notre paysan en pleine recuperation de bouteilles vides. Le rock a reuni des mondes par bien des points antagonistes : la realite sociale de la Chine d'aujourd'hui reste intacte.

Tout ce que le rock chinois compte de vieux comme de jeunes talents avait ainsi fait le voyage jusqu'a Lijiang pour cette grand-messe. Une scene musicale tres diversifiee, qui va du heavy metal au hip-hop en passant par tous les genres possibles et imaginables, certains groupes, comme les rappeurs de CMBC, se contentant de reproduire ironiquement la gestuelle et le rythme de leurs grands predecesseurs americains. D'autres, comme Ershi Meigui ("Roses d'occasion") ou Ye Haizi ("Les enfants sauvages"), melant avec bonheur les sonorites rock aux rythmes de leurs provinces, le Nord-Est chinois pour les premiers, le Gansu pour les seconds. Ou encore Wan Lei, l'une des grandes stars du rock chinois, qui vit a Canton et a fait une belle demonstration de talent et d'energie samedi soir, sauvant une journee gachee par la pluie.

Organiser un festival de rock en Chine tient de la gageure : cette musique est encore aujourd'hui tout juste toleree, bien plus qu'ouvertement acceptee, par le pouvoir communiste tatillon. Et Cui Jian, sa figure emblematique, reste stigmatise pour avoir chante sur la place Tiananmen lors du mouvement democratique du printemps 1989, reprime dans le sang. Il n'a toujours pas le droit de se produire devant plus de 1 000 personnes dans la capitale, Pekin, alors qu'il parvient a remplir des stades en province, et demeure interdit de passage a la television.

Site somptueux. Mais les choses changent en Chine, lentement. Soucieux de developper le potentiel touristique de sa ville, le maire de Lijiang, dans la province du Yunnan (sud-ouest de la Chine), un lieu classe au patrimoine mondial de l'humanite par l'Unesco en raison de son vieux quartier preserve, a pris l'initiative de ce festival rock, et a demande a Cui Jian de l'organiser. Nous sommes ici tres loin de la capitale, et ce qui reste impensable au coeur de l'empire, devient possible... Lijiang a ainsi fourni le site somptueux du festival : un plateau a 35 kilometres au nord de la ville, a 2 800 metres d'altitude, au pied de la montagne enneigee du Dragon de jade et de son glacier qui culmine a 5 500 metres.

Ce sceau officiel etait certes indispensable pour pouvoir tenir la manifestation, mais il a aussi un prix : une recuperation politique par les autorites locales et provinciales et une presence policiere massive, a un niveau inimaginable dans un festival ailleurs qu'en Chine... Pendant ces deux jours, des policiers en uniforme ont sillonne la foule, veillant a la moindre odeur suspecte ou calmant les ardeurs excessives. Ce qui n'a pas empeche quelques policiers de se laisser gagner par l'ambiance et de reprendre avec la foule quelques refrains connus...

Tests. Egalement impensable ailleurs : les musiciens ont ete prevenus qu'ils seraient testes a l'issue du festival pour toute trace de drogue. Des equipes speciales seraient venues de Pekin a cet effet et les organisateurs ont meme conseille aux artistes de ne pas boire de Coca, car cela provoque parfois des tests positifs... "On m'a telephone trois fois chez moi a Pekin pour me prevenir de ne pas emmener de substances dans l'avion", raconte, plus amuse que scandalise, un chanteur parmi les plus connus. En fin de compte, il n'y a pas eu de test, mais la menace a fait son effet.

Recuperation commerciale egalement : jusque-la marginalise, le rock chinois a soudain trouve grace aux yeux des sponsors, comme le principal portail Internet chinois, sina.com, et Channel V, une chaine musicale par satellite tres populaire sur le continent, basee a Hong-kong et liee au groupe Murdoch. Channel V, qui ne passe quasiment jamais un chanteur de rock chinois sur son antenne, au profit du cantopop, la chanson sirupeuse venue de Hong-Kong et Taiwan, a debarque en force a Lijiang avec ses animateurs vedettes branches. La chaine musicale aurait l'intention de programmer prochainement une histoire du rock chinois en six heures, avec des extraits du festival. Meme CCTV, la chaine nationale chinoise, devrait diffuser des images des concerts de Lijiang, mais pas, dit-on, celui de Cui Jian, toujours frappe d'interdit cathodique.

Les musiciens voient une occasion dans cette porte qui s'entrouvre, mais aussi des dangers. La chance de sortir de la marginalite dans laquelle ils continuent d'operer, et d'obtenir un debut de reconnaissance qui leur permettrait de mieux vivre. Parmi les groupes qui se sont produits a Lijiang, beaucoup, comme She Tou de Pekin ou les Voice Toys de Chengdu, vivent difficilement de leur art. She Tou vient de sortir son deuxieme CD mais, en raison du piratage et de l'absence de passage a la tele, ne gagne que de quoi eponger ses dettes accumulees depuis le precedent disque.

Le danger est evidemment, pour des musiciens libres qui appartiennent a la scene alternative chinoise, celui du prix a payer pour cette ouverture. Le chanteur des Ershi Meigui, l'un des groupes interessants recemment apparus a Pekin, raconte ainsi que des officiels chinois qui l'ont vu en concert lui ont laisse miroiter un passage a la tele a condition qu'il cesse d'apparaitre sur scene travesti en femme et maquille, et retire de ses textes toutes ses plaisanteries grivoises, pourtant inspirees de la culture populaire du nord-est de la Chine dont il est originaire. "Fais deux versions, lui ont-ils conseille. Une pour les vieux cadres du parti et une pour ton public..." A defaut de faire des concessions, ce groupe, comme beaucoup d'autres, est condamne aux petites salles des grandes villes ou ces extravagances sont tolerees.

Happy few. Pour toutes ces raisons, Lijiang etait un rendez-vous important. S'agissant d'une premiere, il n'a pas manque de problemes dont les organisateurs devront tirer les lecons s'ils souhaitent le succes d'une eventuelle deuxieme edition l'an prochain. Premier handicap : comment attirer un public plus large ? A Lijiang, ils n'etaient que 4 000 a 5 000 participants contre les 10 000 annonces et esperes. Mais surtout, le gros contingent etait constitue de gens de la region, auxquels se sont joints les happy few de Pekin, Shanghai ou Canton, ayant les moyens de se payer l'avion pour Lijiang en plus du billet d'entree deja cher pour la Chine (280 yuans, soit pres de 30 euros). En train, moins onereux certes, il faut pres de cinquante heures de voyage pour arriver a Lijiang... Resultat, peu de jeunes sont venus des grandes metropoles de la cite. Ce festival a donc trouve un public populaire dans ce bout de province chinoise, mais n'a pas pu attirer sa base naturelle.

Les problemes d'organisation ont egalement ete nombreux, dus pour certains a l'inexperience, d'autres a l'incompetence, notamment pour ce qui devait etre assure par les autorites locales, comme les indispensables navettes entre Lijiang et le site du festival. D'autres difficultes, enfin, resultent du mystere politique chinois : a deux heures de la fin du festival, les techniciens sud-coreens qui s'occupaient de la partie technique se sont mis en greve en apprenant que les autorites chinoises avaient interdit, pour une raison inconnue, a un groupe coreen de se produire comme prevu. Apres un moment de cafouillage, il a fallu que Cui Jian, lui-meme issu de la minorite coreenne de Chine, negocie, quelques minutes avant le debut de son concert, un compromis qui sauve la face de tout le monde. Finalement, le groupe coreen a pu jouer, une fois le festival officiellement clos... Malgre tous ces problemes, le pari des organisateurs a ete tenu. Aucun incident n'a ete signale, qui aurait pu plomber les chances de reproduire l'evenement, et la satisfaction du public etait evidente. Le maire de Lijiang est lui aussi apparu en fin de soiree tout souriant, signe que son pari personnel a egalement ete gagne.

Jam session. Dans un bar du vieux Lijiang, une fois le festival acheve dimanche soir, les musiciens se sont retrouves pour une jam session jusqu'a l'aube, avec Wang Lei, en grand pretre de la console electronique, Eddy, le guitariste malgache de Cui Jian, et d'autres musiciens chinois et etrangers. La Chine, ce week-end, a fait un pas de plus vers la planete rock, en attendant de partir, la aussi, a la conquete du monde.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=48109

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